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Lussas 2022

Les États généraux du film documentaire

Les États généraux du film documentaire se dérouleront du 21 au 27 août à Lussas. La section « Route du doc » sera consacrée au Japon en collaboration avec le Festival international du film documentaire de Yamagata et Fenêtres sur le Japon.

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ROUTE DU DOC : JAPON
Texte de présentation par Tamaki Tsuchida

Que signifie « modernité » dans le cinéma moderne ? Il ne suffit pas de supposer que cela signifie traiter des sujets et des objets contemporains dans le travail. C’est la conscience de se situer dans l’histoire et de vivre « après » l’histoire qui permet aux
cinéastes de se tenir sur le terrain de la création et d’inscrire la modernité dans leur oeuvre. Cette prise de conscience ne dépend pas du fait que le film soit un film de fiction ou un film documentaire. On ne peut expliquer le succès des cinéastes japonais d’aujourd’hui sur la scène internationale sans rappeler la production massive de films de fiction dans les années soixante au Japon suivi du déclin du « système des studios » qui la soutenait. Pour les nouveaux cinéastes, arrivés après les grands maîtres, dans un univers bouleversé et un système dégradé, leurs films sont l’aboutissement de la recherche d’un cinéma encore possible plutôt que d’une « nouveauté » superficielle.

Dans l’histoire du cinéma documentaire japonais, Makoto Sato est le lien entre ces deux époques, entre deux générations. Fortement sensibilisé et conscient de cette notion de « l’après », ses films en sont l’incarnation. Cinéaste et théoricien, il a d’ailleurs présenté au festival de Lussas en 2002 une rétrospective des films de Shinsuke Ogawa et accompagné ses films Self & Others (2000) et Hanako (2001). Lorsque Sato fait ses débuts dans le cinéma, dans les années quatre-vingt, le cinéma documentaire indépendant japonais est passé d’un style « collectif » à un style « individuel », et le sujet des films s’est détourné de la politique et de la société pour s’intéresser aux individus. Le mode de production de cinéastes tels qu’Ogawa et Tsuchimoto – qui, dans certains cas, s’installaient dans un lieu pour réaliser leurs films tout en vivant en communauté et en pensant dans le même temps la diffusion des films pour susciter un appel à la société – est en train de disparaître.

Collectif ou individuel ? En d’autres termes, comme le film Self and Others de Sato nous le suggère, la question est de savoir comment se relier « Self/soi avec les « Others/autres » – la conscience d’un « entre-deux », entre nous et les autres, est devenue quelque chose de rare dans la société japonaise. En particulier à la suite du tremblement de terre de 2011, puis de Fukushima et de la pandémie, les relations semblent s’être morcelées et les expériences ainsi que les souvenirs à partager se perdent de plus en plus. Le quotidien de chacun occupe tout l’espace d’où disparaît l’autre, entraînant aussi une forme d’indifférence et même d’intolérance.

Deux films s’opposent à cet effacement, aux côtés de ceux qui tentent de résister et de surmonter leurs conditions de vie et de travail. Vivre à Tatekawa de Yoko Yamamoto et Une fourmi contre-attaque de Tokachi Tsuchiya sont des films de lutte, d’une lutte qu’ils accompagnent dans la durée, renforçant ceux qui sont filmés dans leur dignité et leur combat, inégal mais obstiné et vivant.

Comment pouvons-nous recréer le « et/& » et resserrer des liens ? Théâtre 1 de Kazuhiro Soda est une tentative d’« observation » du monde devant la caméra pour le transmettre aux spectateurs comme « réel », tout en superposant sa propre méthode de cinéaste à celle d’un metteur en scène de théâtre. Y a-t-il encore une nécessité à filmer quelque chose aujourd’hui ? Dans Toward a Common Tenderness, Kaori Oda s’interroge sur la manière de concilier son désir esthétique et une forme d’éthique pour son cinéma et amorce en quelque sorte une réflexion autour du langage. Le langage est le coeur du travail de Sakai et Hamaguchi qui se concentrent sur la parole et le récit des personnes rescapées de l’inimaginable et irreprésentable tsunami. Il s’agit d’une « expérimentation » qui construit un espace protégé entre survivants et disparus, entre raconter et écouter, entre sujet et spectateur, entre fiction et documentaire.

La supposée glorieuse période de croissance du Japon est révolue, la pauvreté se propage ainsi que le sentiment que quelque chose se termine. Survivre après la catastrophe. Dans le sillage de Sato, qui a filmé après Ogawa et Tsuchimoto, les films documentaires japonais tentent de résister et d’échapper à l’étouffement de cette époque. Le film de Haruka Komori et de Natsumi Seo est un geste d’espoir, celui de la transmission d’un récit à la future génération. Au-delà, dans Tenryu-ku Okuryoke Osawa: Bessho Tea Factory de Teiichi Hori, filmé dans une plantation de thé vert en montagne, on découvre la lumière et le brouillard, le vent et le bruit des machines, les gestes des femmes et des hommes qui travaillent. On y rencontre le reflet d’un autre monde, quelque chose dans un hors champ, ailleurs, ici.

Une programmation de Tamaki Tsuchida et Christophe Postic.
En présence de Tamaki Tsuchida (Festival International du Film Documentaire de Yamagata) et de Yoko Yamamoto.
Avec le soutien de l’Institut français du Japon et la collaboration du Festival Fenêtres sur le Japon.